L'Herald et nous - Auto Reverse

Le cabot est prostré devant la porte, depuis vingt bonnes minutes, il vous fixe comme une tranche de gigot.

« Chérie… bouge-toi! »

Il est déjà 11 heures. Les murs du couloir deviennent sérieusement oppressants. Vous seriez presque disposés à troquer votre pic-nique contre un accord de paix avec votre limier de pacotille. Elle descend enfin, sort le nez par la porte:

« Ah mais il fait chaud en fait! Attends, deux secondes, je vais prendre un pull moins épais »

Je t’attends dans la voiture hein!
En sortant, vous envoyez un sms à Vincent et Elodie qui attendent que vous passiez les prendre:

Et… vous avez oublié les clés. Décidément ça part mal!

Dehors, la vieille Triumph est négligemment posée à cheval sur un trottoir. Les passants s’attardent devant avec un regard bienveillant, mêlé d’amusement et de curiosité. Humble et flamboyante à la fois, elle respire l’Angleterre moderniste des années 60 avide de dolce vita. Mais Michelloti, voulant bien faire pour son premier contrat, s’était peut-être un peu emballé sur l’agressivité de l’ensemble: la herald est un mélange de vaporetto vénitien et de Plymouth Fury en réduction.

Un regard de hibou courroucé, des flancs tendus rehaussés de chrome et de fines dérives à l’arrière. Tout cela trompe difficilement l’observateur: chaque panneau de carrosserie semble avoir été monté sans aucune considération pour les morceaux autour, les roulettes de 13 pouces au carrossage aléatoire dégagent des flancs hauts et épais: rien, réellement rien ne respire la performance ou la recherche de perfection.

A l’intérieur, l’esprit nautique perdure. L’immense barre à roue donnerait des complexes à Kersauson tandis que la rusticité « posh » de l’ensemble évoque les bons vieux Rio d’entrée de gamme.

Vous levez le siège pour faire monter le beagle et vous contorsionnez autour du volant. A bord, les pédales et le siège partent complètement vers l’extérieur tandis que la colonne de direction est presque au milieu de la voiture…

A l’époque pourtant, l’ergonomie était un des principaux arguments de vente pour l’Herald. Triumph avançait 72 possibilités de réglage sans jamais avouer que tout s’obtenait à l’aide de deux cales asymétriques en caoutchouc coincées sous les tabourets fauteuils…

Résultat, la voiture se conduit le buste assez droit, le volant dans la main gauche, posée sur la jambe gauche, elle-même pliée sous le dit volant.

Pendant que vous poireautez, vous bricolez la planche de bois qui fait office de tableau de bord. Percée de deux compteurs et meublée par un badge et quatre tirettes, son élégante simplicité fait écho à toute la voiture. D’un côté, on voit que Triumph a rogné dans tous les sens pour gagner du poids et des pounds. De l’autre, le chauffage est monté sur relais, les chromes abondent, les garnitures sont de qualité…

Soudain, la voiture se secoue et un bruit de tôle battue vous sort de vos pensées.

Dépèche toi! On va être à la bourre!

Vous enfoncez la clé en T dans la serrure en passant à travers le volant. Le 1300 s’élance immédiatement dans un bruit caractéristique: d’abord, le démarreur émet un bref grincement métallique donnant l’impression qu’il va exploser; puis il est couvert par le bruit sourd et calme du 4 cylindres de la spitfire. La boite n’a pas de rappel, ce qui impose de bien décomposer ses gestes. Sa manipulation est plutôt agréable: ferme, mécanique et avec des débattements assez courts.

Crrr… Ah oui, par contre la première n’est pas du tout synchronisée.

Le moteur ne profitant pas de la préparation de sa cousine, il se conduit plutôt sur le couple. Mais 60 chevaux pour 750 kgs suffisent à la rendre « Zippy » comme disent les Anglais. Ajoutez à cela une direction légère, un braquage légendaire et la vieille Herald fait preuve d’une agilité hors pairs.. Même une Mini aurait à en rougir.

Réfrénez un peu vos ardeurs: le freinage manque totalement de mordant. Le ressenti de la pédale n’aide pas: la course est longue, la texture « spongieuse »… Ouvrir la porte et planter une converse dans le bitume semblerait moins désagréable et plus efficace!

Vous arrivez enfin. Ils vous attendent sur le parking. L’un d’eux semble avoir déjà attrapé un coup de soleil…

Qu’est-ce que vous foutiez?

Vous ne pouvez prétexter la panne. Vincent a déjà bricolé la Triumph et il a l’habitude de s’en servir. Il sait. Il sait que les Triumph Herald ne tombent pas souvent en panne…

Dans l’immense coffre, il est possible de charger tout le fatras que vous voulez. Seule limite: la vieille odeur d’essence causée par le réservoir mitoyen.

Vincent prend le volant tandis que vous montez à l’arrière sur la banquette à ressorts qui grince comme un vieux sommier.
Hormis un espace plutôt compté aux jambes, on est pas si mal ici. Les places arrière sont toujours les meilleures sur les cabriolets. On profite au mieux de la grande ouverture qu’ils procurent sur le monde extérieur.

Sur les routes virevoltantes du bord de mer, on sent que les ingénieurs de Triumph avaient le confort en ligne de mire. L’amortissement est caractéristique de la marque avec un avant ferme et un arrière mollasson. Première voiture à roues indépendantes de la marque, Triumph semble leurs avoir donné un peu TROP d’indépendance… Devant, chaque virage fait remonter un ripage important. Derrière, ça flotte gaiement. Perturbez là vigoureusement et la proue bien étudiée suivra vos injonctions tandis que la poupe rendra les armes en s’élevant vers le ciel tout en entamant une jolie glissade… Choquant au début, cette désinvolture engendre rapidement de l’allégresse au volant.

Ce chacal de Vincent est d’ailleurs en train de se marrer.

Quelques années plus tôt il avait ruiné votre achat compulsif de la quarantaine. Gentiment, subrepticement, au détour d’une conversation, il avait sorti:

Au volant de ta TVR, t’as vraiment l’air d’un connard!

Vincent P.

On est tous le connard de quelqu’un d’autre. Mais vous aviez toujours tout fait pour éviter que cela ne se remarque. Jusqu’à cette TVR. Avec son long capot, son échappement bruyant et son habitacle tout en cuir, elle se moquait de votre amour propre comme une vitrine Von Dutch.

La vieille Herald était arrivée pour vous faire renouer avec les « vraies » anciennes. Achetée sur un coup de tête, vous n’en aviez encore jamais conduit une jusqu’à ce qu’elle pose ses roues dans votre garage.

Rapidement, elle avait su retourner tout votre entourage: votre femme, Vincent, vos amis, vos parents… Tout le monde avait fini par s’enticher du hibou colérique. Pour vous, il avait fallu davantage de temps. D’abord, vous étiez arrivés à un consensus concernant le rythme de conduite: je te brusque pas, tu ne me tues pas.

Puis lors de certaines nuits alcoolisées, vous aviez fini par lui trouver du charme tandis qu’elle vous attendait prostrée sous un lampadaire. Reconnaissons que l’alcool abaisse toujours nos exigences…

Enfin, la Herald était devenue utile. Garée devant un café, remplie de courses au soleil ou faisant de l’oeil à un agent lors d’un contrôle d’autorisation de sortie, elle était devenue un ami imaginaire, qui se moque de l’intensité de votre existence du moment qu’il la partage avec vous.

La passion pour l’automobile ancienne peut revêtir diverses formes. L’un sera attiré par les bêtes de salon en état collector. L’autre recherchera le frisson des échappements crépitants dans un virage abordé à vive allure.

La Triumph Herald vous a fait retrouver votre goût des vieilles voitures. Que l’on retrouve toujours avec plaisir pour rouler autant que possible. Qui se révèle dans le partage et la convivialité plutôt que dans la démonstration et la préservation.

Histoire facultative

Pauvre petite Herald… Même l’histoire de sa conception est foireuse. Elle commence en 1956 au sein du groupe Standard. C’est le Projet Zobo qui doit remplacer les berlines populaires de la marque Standard et concurrencer les futures Ford Anglia et Austin/Morris Mini.

Déjà, l’emboutisseur du groupe Standard a été racheté par la BMC. La marque ne dispose donc plus de l’outillage nécessaire à la construction de coques auto porteuses. La Zobo sera donc assise sur un antique châssis séparé. Standard justifiera cet échec par un montage aisé et une plus grande modularité, « alway look on the bright side of life »…
L’ingénieur en chef, Harry Webster insiste pour que le style émane d’un designer italien alors complètement inconnu: Giovanni Michelotti. Il se démènera pour présenter un projet futuriste avec des lignes tendues et de grandes surfaces vitrées.

Rejoignant les Vanguard (premier rang militaire), Ensign (étendard) et Pennant (fanion), la nouvelle Herald (hérault) recevra le 4 cylindres 948 cc3 de la Standard 8 qui a presque 10 ans, accouplé à une boite quatre rapports à première non synchro qui tire relativement court. L’épure de la suspension est elle, moderne: devant, des doubles triangles font appel à des combinés ressort amortisseur, derrière, un essieu brisé est monté sur une lame de ressort transversale, comme sur les Mercedes 300 SL…
Tous ces choix techniques ont un coût. Standard essaie de rogner à l’intérieur: un seul cadran, quatre boutons, un chauffage en option et un tableau de bord en isorel (du carton!) mais la Herald reste trop chère. La seule solution est de la faire monter en gamme. Ansi, sans changer de nom, sans gagner en équipement, la Standard Herald adopte la marque Triumph, plus branchée, plus sportive et plus haut de gamme.

Les prototypes sont testés lors d’un périple Le Cape – Tanger juste avant sa présentation en 1959. La voiture est alors considérée comme une des plus avancées de son époque… Disponible au lancement en Coach (2 portes, 4 places), coupé (2 portes, 4 places, mais plus sportif) convertible et en break.

Dès le lancement, la tenue de route est critiquée en raison du train arrière qui ne supporte pas d’être brusqué. Les ventes ne prennent pas tout de suite: les 39 chevaux du 4 cylindres ne suffisent pas en regard du prix de vente élevé de l’auto (700£ lorsque la Mini en demandait seulement 450£!).

En 1961, Leyland absorbe Standard-Triumph et injecte des fonds dans la Herald. elle adopte ainsi un nouveau 1200 cc3 qui lui fait gagner 5 chevaux, un tableau de bord en bois et des pare-chocs en caoutchouc blanc. Ce surcroit de cylindrée rend la Herald enfin compétitive. Les ventes décollent et donnent confiance à Triumph, qui réorganise sa gamme: le coupé est abandonné et remplacé par la Spitfire. En 1962, la Herald reçoit un nouveau 6 cylindres 1,6l de 70 chevaux et devient Vitesse. Déclinée en coach et en cabriolet, son avant complètement redessiné lui confère un air bien plus agressif… Avec ce moteur, Triumph se dit que la Vitesse est capable de damer le pion à la nouvelle BMW 1500 Neue Klasse… Ce ne sera pas le cas. Seulement 40 000 Vitesse seront produites jusqu’en 1971.

En 1963 apparaît la 12/50, une version sportive du coach développant 50 chevaux, équipée d’un toit Webasto et de freins à disques. Le chant du cygne arrive en 1967 avec la 13/60, surnommée Britt. Elle reçoit un 1260 cc3 de 60 chevaux et le capot de la vitesse avec seulement deux phares.

Après presque 510 000 exemplaires, la Herald se retirera du marché en 1971.

Les autres Herald

La plateforme simple de l’auto permet de la modifier facilement. Elle sera utilisée par un bon nombre de petites marques:

Bond Equipe

Difficile de qualifier la Equipe. C’est une version « Sport » de la Herald. Mais elle n’est ni plus basse, ni plus belle, ni vraiment plus performante. Elle rencontrera toutefois un certain succès. Bond la déclinera même en plusieurs séries, dont l’inspiration esthétique évoluera d’une Ami 8 courroucée vers une Saab Sonett désorientée.

Jc Midge et Gentry Spyder

A l’instar de NG sur base de de MGB, Gentry et JC proposent leur interpretation de la fameuse MG TD, cette fois sur base de Herald. Notez que par rapport aux NG, la qualité de fabrication des Gentry est largement supérieure.

Urba Centurion

Nous sommes en 1980. Urba récupère des châssis d’Herald.

Dessus, il met une carrosserie de supercar à la sauce varoise. Dedans, il met un 3 cylindres Kubota diesel de 18 chevaux. La voiture consomme 1,8 litres au 100 et plafonne à 80.

Sammio Spyder

Pour 1390£, Sammio vous propose une carrosserie de barquette à monter sur un châssis de Triumph Herald ou de 2CV, puisqu’elles ont le même empattement.

Standard Gazelle

Dans les 60’s, Standard assemble sous sa marque des Herald en Inde. A partir de 1964, l’Inde commence à s’affranchir en fabricant ses propres moteurs, un nouvel avant, puis un nouvel arrière, le tout ressemblant à une Vitesse moche. Puis, en 1966, la Gazelle s’éloigne définitivement de la Herald en adoptant 4 portes et un avant lui valant le surnom de « Angriest Car in The World ». Tout ça…

Amphicar

Les Amphicar utilisent un 1200 de Triumph Herald positionné à l’arrière.

Lexique


* Nowhere Car: Les nowhere cars représentent la plupart des automobiles d’un marché sur une période passée. Prenons un exemple: La Rover 214. Sur le marché des années 90 se dessinent déjà quelques collectors (Mazda MX5, Bmw E30, E36, etc…) mais personne n’a d’intérêt pour la Rover 214, c’est une nowhere car. Elle va disparaître, petit à petit dans les casses à la campagne.

Sources


The book of the Standard Motor Company – The British Motor Industry: 1945-94

Triumph Club New Zealand – Canley Classics The Independant

SammioGentry

L'Herald et nous
Ce n'est ni la plus belle, ni la plus sportive. Elle n'est pas même confortable ou rapide. La Triumph Herald est ce bon vieux pote que l'on retrouve tous les jours avec plaisir. Un café ou un tour de France, tout lui va du moment que vous êtes ensemble.
Look5
Fiabilité8
Maniabilité10
Sportivité2
Tenacité8
Confort3
Good Friend
  • Incroyable fiabilité (pour une Anglaise)
  • Maniabilité hors pairs
  • Look de Vaporetto courroucé...
Bad Friend
  • ...Freinage de Vaporetto penaud
  • Tenue de route aléatoire
  • N'aime pas la pluie.
6Note Finale
Note des lecteurs: (7 Vote)
6.0

7 Réponses

  1. Serge

    Probablement que jolie voiture resemble à un jouet. Celle que je possède, ma femme l’a surnommée play mobile c’est un comble mais je ne lui en veux pas .
    Pour en dire que c est une belle auto à mon goût bien sûr!

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    • Hugo
      Hugo

      Mais oui, vous avez raison. C’est une auto agréable. Ma femme la surnomme la cagette… Mais elle l’adore.

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  2. delorieux

    Merci pour cette article, et moi je ne la trouve pas moche cette Herald.

    La mienne roule quasiment tous les jours, elle est toujours partante et même amusante.
    C’est une excellente ancienne, facile à entretenir, fiable et sympa à conduire.
    Comme dit dans l’article, c’est autant une voiture qu’un vieux pote.

    Pour ce qui est de sa ligne, j’ai tout de même été vexé. lorsqu’à la sortie de l’école de ma fille, un gamin de 6 ans s’est écrié : « c’est la voiture de Oui-Oui. » Vexé parce que je ne pense pas ressembler à Oui-Oui, j’ai même pas un chapeau avec un grelot !

    David

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    • Hugo
      Hugo

      Avec plaisir David!
      C’est, dans notre collection, une de mes voitures préférées. Parcequ’elle est simple et généreuse.
      Tout le monde dans la famille en profite en toute simplicité.

      Cela pose toutefois un gros problème: Le jour ou je déciderais de m’en séparer, tout mon entourage me tombera dessus à bras raccourcis.

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  3. François VAUVRAY

    Tcho,
    Pi y a un truc facile à gérer pour une fois, c’est de mettre les filles derrière. Ben quoi, en 1960, elles n’avaient pas le droit de conduire. Si ? Quoi, et Sagan ? C’est le beagle ?
    A cause de vous j’ai une collection à vendre, faut bien que je me venge !
    Ne soyez pas sages
    François

    Répondre
  4. Greg

    Merci, on l’attendait cet article sur l’Herald. Elle est décidément très moche, les photos sous tous les angles le confirment. Mais on sent qu’elle sait provoquer l’attachement de manière tout à fait irrationnelle, en bonne voiture anglaise. Et, ouf, j’ai bien fait de ne pas acheter la TVR, j’aurais eu l’air d’un connard. Quoique, je me demande si c’est pas déjà ce que pensent mes voisins à cause de l’XJS.

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    • Hugo
      Hugo

      🙂
      La TVR était une super voiture, malheureusement elle est devenue complètement inutile: trop basse, trop rapide, trop bruyante pour moi.

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