Daimler SP250: Hot rod anglais - Auto Reverse

Coupons tout net le suspens: Le plot central de cet article était de comprendre pourquoi la Daimler Dart SP250 était si moche. Peut-être ainsi lui permettre d’expier ces années de moquerie. Car au fond, nous aimons bien cette auto. Peut être parceque nous sommes de ceux qui apprécient la Triumph Herald et qui débattent autour d’une Fiat célèbre: Tu sais, c’est pour éviter l’effet de serre qu’ils ont mis ce bourrelet à l’avant… Mais revenons à nos vilains canards: Après 4 mois de recherches sur des archives anglaises et américaines, la voiture qui a été élue « Voiture la plus laide du New York Motor Show de 1959 » a été dessinée ainsi pour répondre à son cahier des charges: Créer une voiture aérodynamique qui ressemble à une Corvette anglaise. Voilà, maintenant vous savez.

Puisque vous en êtes là, profitons-en pour dégrossir l’histoire de Daimler et plus particulièrement de la Dart SP250.

Petite histoire…

En 1896, Frederick Richard Simms achète la licence de distribution et d’exploitation de moteurs à essence de la société allemande Daimler Motoren Gesellschaft. En 1910, c’est-à-dire à peine 14 ans après sa création, la marque est en faillite. Elle est rachetée par la Birmingham Small Arms Company pour son outillage et ses usines. Ce groupe, qui produit originellement armes et vélos, décide de se lancer dans les engins à moteur et travaille déjà sur une moto. La gamme va s’étendre largement sur la première partie du siècle. Grâce à une gamme simple et performante, les motos se vendent bien. En parallèle, la marque Daimler a su acquérir une part de marché importante en Angleterre en produisant des véhicules haut de gamme, réservés à la monarchie et à une élite discrète.

Depuis les années 40, c’est Sir Bernard Docker qui administre la BSA. Lorsqu’il épouse l’ex-danseuse Norah Turner en 1949, il lui confie la responsabilité des produits les plus exclusifs de la marque. Son projet est de faire la promotion de Daimler à l’étranger tout en développant de nouvelles automobiles plus petites et plus exclusives. S’en suit la présentation des nouveaux modèles au design et au goût… particulier. La plus caractéristique sera la Daimler Golden Zebra, un coupé torturé dont les chromes ont été remplacés par des dorures et les cuirs par de la peau de zèbre. Ne se refusant rien, Norah l’utilisera pour ses déplacements personnels. Ces produits de goût douteux et les excentricités du couple commencent à ternir l’image de Daimler. Le pinacle sera le salon de l’automobile de Paris en 1954, ou le couple dépensera 8000 £ en vêtements aux frais de la maison (l’équivalent de 3 Daimlers neuves). Cela ne plaira pas à la monarchie, qui évincera Daimler de sa liste des fournisseurs royaux, faisant perde à la marque d’importantes sources de revenus. En 1956, Docker sera viré de la présidence du groupe sur l’initiative de Jack Sangster, qui le remplacera.

Ce dernier est un homme d’affaires reconnu. Propriétaire des motos Ariel et Triumph, il avait rejoint le conseil d’administration du groupe BSA lors du rachat de Triumph en 1951. Avec lui était arrivé le génie avec qui il a développé les produits à succès chez Ariel, puis Triumph: Edward Turner, père de l’Ariel Square Four (un 4 cylindres en carré, oui), des bicylindres Triumph et même de la légendaire Bonneville. Turner prendra la direction technique de Daimler et insufflera son goût pour la performance à la marque.

Pour intéresser le marché américain, sa première initiative sera de créer un V8. Avec le directeur du design, Jack Wickes, ils commencent par s’inspirer de la liste de pièces détachées du V8 de la Cadillac de Turner. Conçu en deux cylindrées -4,5 et 2,5 litres- le moteur anglais retiendra de bons vieux culbuteurs et un V à 90°, mais reprendra le design hémisphérique des culasses du twin Triumph ainsi qu’une alimentation par carburateurs SU. Si le « gros » moteur était destiné à la Daimler Majestic, le petit motorisera une berline de taille plus modeste, la DN250. Enfin, en guise de porte étendard, il sera monté dans une petite voiture de sport destinée à concurrencer la Corvette (hum…), la SP250. Détail amusant, les bancs de puissance des ateliers Daimler n’étaient pas assez dimensionnés pour mesurer le couple du gros 4,5 litres.

Finalisé en mars 58, le groupe n’a pas vraiment eu le temps de travailler sur les berlines qui doivent contenir les moteurs. Il est donc décidé de s’atteler en urgence au projet SP250. Une petite voiture de sport, c’est bien plus facile à concevoir qu’une grosse berline de luxe. Et… les ennuis commencent. Histoire de pondre un châssis en vitesse, Turner et Wickes copient littéralement celui de la TR3 (deux poutres en X avec un pont suspendu et une suspension triangulée à l’avant) en y ajoutant 4 freins à disques. Par-dessus, ils boulonnent une caisse en fibre de verre, un matériau bien plus économique à industrialiser en petites quantités. La ligne se veut aérodynamique et directement inspirée de la Corvette. Sentez-vous la tempête arriver? Non? Daimler n’a jamais produit de voiture de sport, installe un moteur neuf, jamais essayé, dans un châssis jamais testé, le tout emballé par une carrosserie faite dans un matériau tout nouveau pour le constructeur?

Le résultat sera présentée au New York Motor Show de 1959 et officieusement qualifiée d’auto la plus laide du salon. Histoire d’enfoncer le clou, Daimler avait choisi de la nommer DART. Mais sur le sol américain, c’est le nom d’une Dodge depuis quelques années, obligeant Daimler à retirer son appellation en cours de salon et retourner sur le code interne du prototype: SP 250.

… Des premieres séries décevantes

Les premiers essayeurs professionnels réservent à l’auto un accueil timoré. The Autocar, un magazine pourtant chauvin, écrira:


Les carrosseries en fibre de verre, bien que loin d’être nouvelles, restent quelque peu une nouveauté, et celle de cette première SP250 à conduite à droite nécessite beaucoup plus de rigidité et une plus grande attention aux détails de finition… Sur toutes les routes sauf les plus lisses, il y a un tremblement considérable dans la direction et une certaine flexion de la coque. À deux reprises durant notre test, lors de virages à gauche abordés à grande vitesse, la porte du conducteur s’est ouverte…

The Autocar

Vendue 15% plus chère qu’une Austin Healey en Angleterre, la SP250 était proposée aux USA pour la même somme qu’une Chevrolet Corvette. Pour couronner le tout, Daimler avait choisi de mettre en place une politique d’options à l’américaine, faisant de l’auto de base un véhicule extrêmement dépouillé: ni pare-choc, ni enjoliveurs de roues, même les canules d’échappement faisaient partie des options!

Les 366 premières autos produites en 1959 vont partir vers les USA et n’auront même pas l’opportunité de toucher le sol: la marque Daimler n’est pas déposée en Amérique, empêchant son utilisation commerciale sans s’exposer à une offensive légale de la part de Daimler-Benz.

Dans la gueule de Lyons

Depuis les tourments causés par Docker, la société Daimler est mal en point. Le train de vie du couple à vidé les caisses, la perte des contrats royaux a fait mal à l’entreprise. La gamme ne comporte plus qu’une vieillissante limousine (la Major) et une voiture de sport qui ne se vend pas. Daimler ne vaut plus rien et William Lyons en profite pour acquérir l’entreprise en 1960.

Très rapidement, Lyons déplace la production de Daimler dans les usines Jaguar, met la Major à la casse et sort une remplaçante (la… Majestic Major, et sa version limousine la DR450 qui deviendra la DS420). Reste le sujet de la SP250. Jaguar dépose la marque Daimler Cars Inc aux USA et réussit à en vendre 60 exemplaires. Mais les voitures livrées font preuve d’une si mauvaise qualité de finition qu’il est décidé de rapatrier le reste en Angleterre.

L’essayeur en chef Jaguar, Norman Dewis, notera que le pare brise peut bouger à la main sur plus d’un pouce, et qu’une porte peut s’ouvrir en appliquant de la pression, à la main, sur l’aile arrière… Daimler avait choisi d’utiliser presque 75% de résine dans la fabrication des carrosseries Jaguar réduira ce taux à 40%.

Les ingénieurs Jaguar retoquent donc la SP250 et lancent la Spec B. Les 301 premiers exemplaires sont démontés et reçoivent cette nouvelle carrosserie ainsi qu’un châssis plus rigide et quelques options bienvenues: direction réglable en profondeur, nouveaux sièges et vrais pare-chocs.

End of story…

La voiture est enfin vendable mais il est malheureusement trop tard pour la petite Daimler. Jaguar annonce la Type E en 1961 qui la surpasse en tout. La fin de l’année 1962 voit arriver une Spec C, équipée d’un chauffage et d’un allume cigares. Peu après sera annoncée la fin de production de la SP250. Ce seront en tout 2654 automobiles qui seront produites. Entre 26 et 30 exemplaires iront rejoindre les rangs de la maréchaussée anglaise afin de courser les malotrus en café racer, et le restant des SP250 va trainer au fond des Show-rooms jusqu’en 1964.

Jaguar travaillera un temps à une remplaçante pour la SP250, la SP252. Son design mélangeait habilement un avant de MGB avec un arrière de TR4, mais son coût de production élevé la mettait en concurrence avec la Type E, classant le projet sans suite.

Au volant…

On ne reviendra pas sur le design de la SP250. Il a ses détracteurs, que l’on peut comprendre, et il a ses amateurs. Sachez toutefois que les photos ne lui rendent pas justice. A bord, la position est plutôt exigue, plus TR3 ou MGA que Type E ou MGB. Les amateurs d’anglaises seront ravis: buste droit, volant vertical près du corps et jambes allongées. Contact, le petit V8 s’éveille avec un discret bruit de démarreur, puis son battement rauque surprend: on n’aurait jamais imaginé cela d’une Daimler! Le fragile levier de vitesses n’offre pas la précision des meilleurs élèves de la classe.

Typiquement anglaise dans sa conduite, la SP250 dispose d’une direction fiable et précise et d’un bon freinage. En raison de sa « petite » cylindrée, il ne déborde pas de couple comme une Corvette. Toutefois, le poids plume de l’auto et sa grande motivation confèrent à l’ensemble une certaine allégresse. Tous les éléments requis pour prendre rapidement confiance. Certes, sur une chaussée abîmée, on ressent encore un certain manque de rigidité en provenance du châssis, mais guère davantage qu’à bord d’une Morgan ou cela passe pour du « charme ».

Avec une côte qui se situe autour de 50 000 €, la SP 250 ne présente plus de problèmes de fiabilité insurmontables. Plutôt agréable à vivre, avec un gros caractère, la SP250 est de surcroît une auto incroyablement amusante à piloter. Moins sophistiquée et plus gracile qu’une Type E, elle représente vraiment une alternative amusante et exclusive sur le marché du roadster de collection sportif.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.