Marques disparues: Jensen Motors par Auto-Reverse

Prenez deux frères passionnés de carrosserie avec un goût prononcé pour les automobiles légères et sportives, mettez les dans une carrosserie spécialisée dans la construction d’utilitaires et laissez faire quelques années.

Vous obtiendrez une marque anglaise qui va produire des autos plus innovantes les unes que les autres, la Jensen Motor Company. Jensen Motors pour les intimes.

Jensen motors Ford TOURER

C’est en 1934, lors du décès de leur créateur que les établissements de carrosserie industrielle W.J. Smith and Sons de West Bromwich vont prendre ce nom. L’usine se partage alors petit à petit: Si la construction de véhicules industriels se poursuit sous la marque JNSN, les frères Jensen vont prendre en charge la conversion d’autos de tourisme: Wolseley, leur ancien employeur leur confiera quelques châssis.

1935 va alors marquer un tournant: L’acteur Américain Clark Gable ayant eu vent de la qualité de leur travail leur demande de lui produire un cabriolet sur un châssis Ford à moteur V8. Il en découlera un petite production de Jensen Ford qui mettront Jensen sur le chemin de la construction d’automobiles. Honnêtement, on est très loin de la flamboyance des carrosseries américaines ou françaises de l’époque. L’auto ressemble plus à une grosse MG avec un avant de Ford mais il fallait bien un début.

Portés par ce coup de publicité inespéré et par l’activité industrielle florissante, les Jensen vont mettre en production les premières autos portant leur marque: la berline H-Type et la découvrable S-Type, carrossées d’aluminium sur un désormais connu châssis Ford et son V8 Flathead. Amateurs de solutions techniques hasardeuses pointues, ils équipent les autos d’un pont à deux rapports de démultiplication (de marque Columbia) conférant 6 vitesses en marche avant et deux en marche arrière. Au travers de cette auto se dessine déjà la philosophie Jensen: des voitures cossues et rapides, propulsées par des cylindrées importantes.
Comme de nombreux constructeurs Européens, les deux frères vont soutenir l’effort de guerre en construisant des tourelles de tank et des ambulances.

.

.

1950: Naissance de l’Interceptor

.

1954 JENSEN CONVERTIBLE

À la fin du conflit, Jensen reprend la production d’une berline haut de gamme: la Straight 8, évolution de la H-Type. Le Flathead Ford a d’abord laissé sa place à un 8 cylindres Meadows, dont les vibrations avaient tendance à détruire la voiture et les conducteurs au bout de quelques miles. C’est un 6 cylindres en ligne Austin qui va le remplacer rendant le nom de la voiture simplement… idiot. Nda: L’histoire ne sert pas d’exemple puisque plus tard un industriel irlandais mettra un V6 dans un voiture qui devait initialement recevoir un V12, la De Lorean DMC 12…

La Straight 8 ne sera produite qu’à 20 exemplaires, Austin refusant que la Straight 8 (ou PW si vraiment ça vous dérange vraiment) ne fasse de l’ombre à l’Austin Sheerline avec laquelle elle partage beaucoup d’éléments. En contrepartie, les accords conclus avec Austin impliquent la production de l’A40 Cabriolet. Les frères Jensen comprennent les changements à venir, et, quand la plupart de nos grands carrossiers Français vont disparaître, Jensen va renoncer à l’habillage de châssis haut de gamme pour devenir sous-traitant en carrosseries spécifiques. 3500 unités sortiront de leurs chaînes.

Le partenariat étant plutôt pérenne, les deux frères peuvent travailler sur LEUR nouvelle auto. Un coupé Grand Tourisme. C’est un désigner de chez Austin qui va en tracer la silhouette: Eric Neale. Ligne ponton allongée, toit surbaissé, la carrosseries composée de bois, d’aluminium et d’acier (voire de fibre de verre pour une partie du toit du cabriolet) habille l’éternel 6 cylindres 4 litres de l’Austin Sheerling.

Pour une seconde voiture, Jensen présente un projet très aboutit et ne s’en cache pas, ils lui donnent ainsi le nom d’Interceptor…

Un regard dans le dictionnaire, un interceptor est un engin militaire crée pour rattraper et détruire ses adversaires… Tout un programme.

Pourtant, les anglais n’ont jamais été des producteurs de mécaniques pointues. Le 6 cylindres de la Sheerling n’échappe pas à la règle. Il se retrouve donc à la peine quand il s’agit de mouvoir l’imposant coupé et les performances sont tout juste correctes. L’Interceptor atteint les 100 km/h en 17 secondes et plafonne à 157 km/h. Les 88 modèles qui seront produits jusqu’en 1957 n’intercepteront finalement pas grand monde…

.

/

1953: Jensen 541

..

OLYMPUS DIGITAL CAMERA

À la suite de l’A40, Austin confie son nouveau projet aux frères Jensen. De nouveau dessinée par Éric Neale, la carrosserie de la toute nouvelle Austin-Healey 100/4 est produite chez eux. Son succès rapide et international fait rentrer de la trésorerie que les frangins vont injecter dans la création d’une nouvelle Jensen: la 541. La rupture avec l’époque est remarquable: là encore, dessinée par Eric Neale, elle est basse, ramassée, sa calandre a volet basculant ne ressemble a rien d’autre. L’usage de la fibre de verre autorise de formes inédites et un gain de poids conséquent: L’indétrônable 6 cylindres de la Sheerling et ses 110 chevaux n’ont plus que 1220 kgs à propulser.

La 541 à ainsi été chronométrée par le magazine autocar à plus de 200 km/h et à atteint les 100 à l’heure en 10 secondes. C’est à l’époque la GT 4 places la plus rapide du marché! Pourtant, le succès de la 541 sera relativement modéré. Elle ne s’est vendue qu’à 226 exemplaires jusqu’en 1959, soit 3 fois plus que l’Interceptor. Il est vrai que sa mécanique était plutôt archaïque et que la conception en fibre de verre ne rassurait pas les clients: la légende dit que la coque émet des bruits étranges et qu’en cas de choc dans la circulation, elle se fissure sur toute la longueur…

Austin Healey 100/4Toujours en quête de modernité, en 1956 la 541 DeLuxe va adopter des freins à disques sur les roues avant, puis sur les roues arrière  en 1957 avec la 541R et sa direction à crémaillère en lieu et place du classique boitier. 197 voitures seront produites avant son remplacement par la 541S en 1959.

Dernière de la lignée 541, la S est une vraie évolution puisque 10 cm plus large. Elle renonce au volet de calandre pour adopter une grille traditionnelle et propose une boite automatique d’origine Rolls Royce (elle même d’origine Chrysler) qui va équiper la plupart des 127 modèles.

Deux version spéciales vont sortir: l’une équipée d’V8 Hemi Chrysler qui sera celle de Richard Jensen et une avec un V8 Chevrolet propriété de Donald Healey.

Le succès modéré de la 541 et la perte de contrats de production mettent Jensen en danger. Alan et Richard doivent ainsi laisser le contrôle de leur marque au Groupe Norcos, gros assureur américain…

.

.

1962: Jensen CV8

.

Jensen_CV_8_1966

La CV8 est en fait une évolution profonde de la 541S, elle en reprend les trains roulants mais adopte une design général… mal maîtrisé: C’est la première voiture issue du bureau de style interne.

Pourtant, elle a enfin les chevaux qui lui manquaient: Elle est propulsée par un V8 Chrysler de 5,9 litres et 309 chevaux. La construction légère et la finition soignée de la voiture octroient aux passager un confort et un silence au sommet de la catégorie.

sunbeam alpine tiger

Pendant ce temps, le conducteur doit s’affairer sur le glissant siège en cuir à maintenir la brutale auto entre les deux lignes blanches en dépit des dérobades de son train arrière et des grincements de la carrosserie…

L’ensemble ne fonctionnera pas: 496 exemplaires trouveront preneur en presque dix ans. Heureusement, la compagnie a signé deux partenariats qui lui permettent de garder la tête sous l’eau: la finition et la peinture du nouveau coupé Volvo et l’assemblage de la nouvelle Rootes: La Sunbeam Tiger.

.

.

.

Reprenons:

.

La première Jensen n’était qu’une auto re-carrossée. La seconde souffrait de démantèlement précoce en raison de son moteur d’avion. La troisième, l’interceptor était trop lourde pour intercepter quoi que ce soit, la 541 solutionnait le problème par sa construction légère mais risquait de se fendre en deux à la moindre rencontre avec… tout. La CV8 solutionnait le problème de la mécanique mais en soulevait deux nouveaux: elle était trop légère pour encaisser les chevaux du V8 et… elle était moche.

Fruit de toutes ces expériences, la nouvelle Jensen doit être parfaite: La Ligne sera dessinée par une carrosserie italienne, gage de qualité (en l’occurrence par la meilleure de toutes : la carrosserie Touring), le moteur sera un moteur Américain, léger, fiable et puissant, mais… tout le reste sera Anglais.

Pères de l’auto, les frères Jensen ne profiteront cependant pas de son succès. Un différend avec le groupe Norcos les pousse à quitter la marque. C’est Karl Duell qui prend leur place.

.

.

En 1966 au salon d’Earls Court, Jensen présente la nouvelle Interceptor.

.

jensen front sideSon design laisse pantois mais les solutions techniques choisies ne suscitent pas toutes l’entrain: pour passer la puissance du V8, Jensen a préféré conserver un essieu rigide salisbury et l’antique châssis de la CV8.

Les premières autos sont entièrement assemblées chez Vignal, Touring ne pouvant soutenir le rythme de production. Puis, afin de mieux maîtriser la qualité de l’auto, Jensen rapatriera tout l’assemblage de l’auto à West Bromwich. La finition intérieure oppose directement l’interceptor à des autos telles que l’Aston Martin DB6 ou la Lamborghini Espada:

Jensen Interceptor Rear

Moquettes épaisses en laine, cuir Connoly, l’ensemble pèse  1675 kgs à vide, ce qui reste dans la moyenne du segment. Grâce à une boite relativement courte, les 350 chevaux (SAE) du V8 propulsent l’interceptor à 100 km/H en 6,5 secondes tandis que la vitesse maximale culmine à 200 km/h.

En parallèle est présentée la version FF: rallongée de 10cm, reconnaissable à ses deux paires d’ouïes latérales, c’est la première auto du marché à adopter une transmission à quatre roues motrices pour la route, signée Ford Fergusson, et un système de freinage ABS, signé Dunlop.

Intérieur Interceptor

Seulement, ces équipements pèsent lourd et vont totalement en étouffer les performances de base de l’auto. Résultat: 320 FF sortiront des chaines contres 6 408 Interceptor! En 1969, Kjell Qvale négocie puis reprend Jensen à Karl Duell. Le célèbre importateur américain place Donald Healey au poste de président. L’interceptor passe au Mark II: pare chocs plus fins, tableau de bord remanié et quelques détails de confort sont sensiblement améliorés. Enfin en 1971 l’interceptor devient MKIII: la calandre et les roues changent tandis que le moteur Chrysler subit une déconvenue: la méthode de calcul de la puissance considère désormais la puissance nette du moteur: résultat, la Jensen Interceptor peut consommer jusqu’à 30 litres aux 100 mais ne produit plus que… 225 chevaux. Pour relancer les ventes, la marque va la décliner en coupé tri-corps, en cabriolet, mais rien n’y fait.

La Jensen Motor Company est moribonde. Qvale tente le tout pour le tout et présente en présentant en 1972 un cabriolet deux places et un break de chasse dont le but est de s’approprier une part des ventes de la MGB et de la MG B GT aux USA.

.
.

L’auto porte le nom des ses concepteurs: Jensen Healey

.

Jensen HealeyLe problème réside dans le choix de la motorisation. Vauxhall leur propose un poussif deux litres, BMW dispose d’un moteur sympathique mais ne peut soutenir la cadence de production envisagée, c’est Colin Chapman qui apporte la solution avec son tout nouveau 2 litres double arbre maison.

La légende accuse Lotus d’avoir voulu tester son moteur sur les Jensen avant de les mettre en production sur ses autos. Les critiques diront aussi que la ligne est dessinée à la va vite. Le résultat est en effet plutôt simpliste mais bien dans la veine de l’époque et le profil de la Jensen Healey ne démérite pas du tout à coté d’une contemporaine Porsche 914.

2001_Jensen_S-V8

Au volant, elle est vive, équilibrée, plutôt confortable. La Jensen Healey est à des années lumières des roadsters britanniques en fin de vie.

10 000 exemplaires seront produit. C’est à la fois la Jensen la plus fabriquée de l’histoire de la marque et la dernière voiture de la marque. Le manque de fiabilité du moteur Lotus et la ligne Banale ne permettront pas à la voiture de sauver Jensen de la faillite…

1976, Qvale se retire, la production cesse, 700 ouvriers sont licenciés à West Bromwich.

1981, la marque est ressuscitée une première fois avec une Interceptor MKIV à l’arrière redessiné.

1998 Jensen est ressuscité une seconde fois et présente la SV8 commercialisée à quelques exemplaires. C’était une des plus jolies propositions de revival de l’époque. Mue par un V8 Audi, l’ensemble était pourtant cohérent mais en 2002, Jensen Dépose une troisième fois le bilan.

Aujourd’hui, La Jensen Healey commence à reprendre une seconde vie en collection tandis que beaucoup d’amateurs considèrent encore l’interceptor comme une des plus belles GT de l’histoire. De nombreux préparateurs utilisent des coques vieillies de MKIII pour les mettre à jour. Une d’entre elles fera même une apparitions dans le film très grand public « Fast and Furious 6 »:

Karl Grayson Fast and furious 6

Liens:

=> La Jensen de Clark Gable

=> Jensen Sales Restaurateur d’Interceptors

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.