Team Lotus, Peter Wright and a few questions... - Auto Reverse

L’Angleterre a révolutionné le monde de la formule 1. C’est indéniable: Cooper, Brabham, Lola, Mc Laren, Williams, March, Tyrell, Lotus ont tous réussi à sortir les grands constructeurs des podiums. Au départ, dans les années 50, ils étaient tous des amateurs fauchés, parfois, même pas anglais. Venant d’Afrique du Sud, d’Australie, de Nouvelle Zelande, ces pilotes et/ou ingénieurs, prenaient des pièces de grande série et les modifiaient pour courir en catégorie 750, puis formule junior, F3, F2 etc…

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Avec une base mécanique identique,
ils devaient chercher la performance ailleurs…

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En partant des mêmes moteurs ils n’avaient d’autre choix que de développer de meilleurs châssis, d’avoir de meilleures configurations et les voitures les plus aérodynamiques possible. Ils détournaient les moteurs de pompes à incendie Coventry-Climax pour les monter sur leurs voitures. Une économie entière commençait à se créer: Cosworth préparait avec talent des moteurs Ford, Hewland bricolait des boites de Ford Anglia, et il y’avait encore Lucas, AP racing (freins et embrayages), Specialised Mouldings (pièces composites de carrosseries)…

A leurs débuts, faute de motorisations assez puissantes, ils n’avaient pas accès à la Formule 1. En F1, basiquement, c’était alors celui qui avait le plus gros moteur qui gagnait. C’était la gloire des grands constructeurs: Ferrari, Maserati, Mercedes… Puis, les années 60 voient arriver le moteur Climax qui va permettre aux anglais de gagner le championnat du monde des constructeurs. Ils se tourneront ensuite vers le Cosworth DFV.

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Alors que les Italiens étaient indétrônables dans les années 50 (8 victoires constructeurs),
les jeunes écuries anglaises en empochent 7 dans les années 60,
7 dans les années 70,
la totalité dans les années 80!

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Il existe un ouvrage sur le sujet, « Formula 1 Technology » de Peter Wright, ingénieur diplômé de Cambridge en sciences mécaniques, il a commencé sa carrière chez Team Lotus, témoin et acteur de cette folle évolution, puis il est devenu directeur du management de Lotus Engineering et enfin directeur technique de Team Lotus. Depuis 1994, il est membre de la FIA (fédération internationale automobile) et siège aujourd’hui à la commission de sécurité.

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Cela m’a pris quelques mois pour lire son livre, tant le niveau intellectuel de ce qui y est écrit est supérieur au mien, et à mon anglais… Mais j’en suis venu à bout. Stupéfait par les innovations décrites, je lui ai demandé s’il voulait bien répondre à quelques questions pour vous les présenter dans cet article. La réponse ne se fit pas attendre:

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I am happy to assist….
As long as my memory still works that far back!!

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Si vous avez vu le film « Rush » de Ron Howard, il se situe en plein dans le contexte que nous abordons. Profitez en pour vous rafraîchir la mémoire, un autre sort bientôt sur Bruce Mac Laren. Je souhaite qu’ensuite, il y en aie un qui traite de l’aventure de ces Lotus JPS noires et or qu’on ne présente plus, de l’énigmatique Anthony Colin Bruce Chapman, des processus créatifs impressionnants développés par des pilotes aussi téméraires que terrifiés, avec un fond décadent représenté par l’empire pétrolier Essex, les aventures judiciaires de John de Lorean, les complots et jeux de pouvoir de Bernard Ecclestone, les jets privés etc…

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Wright, avant Team Lotus

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Damien: J’ai lu que tu as été diplômé en 1967 et embauché par Tony Rudd chez BRM pour la «Wing shaped car». Tu as commencé ta carrière à l’époque où les voitures de course s’envolaient quand les ailerons s’arrachaient (Lotus 49)?

Peter Wright: J’ai été embauché en tant qu’assistant de Tony. Je pensais que j’allais travailler sur les moteurs! Je me suis vite aperçu qu’ils s’intéressaient plus à la métallurgie et aux tolérances des matériaux, mais on commençait à retravailler les suspensions et l’aéro. Le projet wing car n’est apparu qu’après que les Chapparral soient sorties avec leurs ailerons, et Tony m’a dit qu’il ne les aimait pas, il m’a demandé de trouver une meilleure alternative. Nous avons lancé un programme en soufflerie pour développer les effets de sols sans ailerons, et la seule façon c’était d’utiliser la surface totale de la voiture : the BRM Wing Car.

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Tu restes deux ans chez BRM et vous partez tous les deux chez «Spécialised Mouldings» en 1969?

Tony est parti chez Team Lotus et moi chez SM.

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Cette compagnie travaillait pour un paquet d’écuries de course non? Lola, Chaparral, Brabham, Chevron etc… C’était quoi ton boulot là-bas?

Le nouveau poste d’aérodynamicien. J’ai d’abord travaillé sur les premières March. Puis j’ai fait le design d’un tunnel de soufflerie d’échelle ¼ que nous avons construit.

J’ai fait beaucoup de travaux sur les Lolas– ils étaient juste à côté- : Indy Cars, Canam, F5000, les 2 Litres Sport. J’ai aussi travaillé sur beaucoup d’autres 2 Litres Sport: Chevron, Gramlinger, March, GRD. Lotus F2 aussi. Et j’ai réalisé un gros projet avec Johnson Evinrude où j’ai essayé d’empêcher les hydroglisseurs de course de décoller, mais aussi un hors-bord de records, je m’intéressais à tout ce qui se passait sous les voitures et les bateaux.

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C’est un très bon début ! Et c’est important pour comprendre comment tu as fait ton «apprentissage aérodynamique».

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Technocraft :
En route vers Lotus

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Alors après quatre années passées chez Spécialized Mouldings tu rejoins Tony Rudd encore une fois chez Technocraft ; en 1974 pour développer le VARI process. C’est très intéressant pour les amateurs de Lotus tu sais? Car la plus grosse partie de la production de cette marque a été faite en utilisant ce procédé?

Il s’agit du Vacuum Assisted Resin Injection, qui peut se traduire comme étant un procédé d’injection de résine assisté par vide d’air, on crée deux moules d’une pièce et un vide d’air aspire la résine entre les deux moules. Tony était chez Group Lotus en tant que directeur des trains roulants. J’étais le responsable de Technocraft qui développait le procédé VARI pour les voitures et les bateaux.

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Lotus est un des rares constructeurs à avoir fait toute sa production avec des carrosseries en fibre (hormis la Seven) et à avoir réussi à les produire massivement… et avec succès. Ils ont aussi appliqué ce système aux De Lorean.

Ce système a été développé à l’origine chez Lotus par Mr Albert Adams. Moi je suis venu pour apporter un peu plus de science parce qu’il devait être étendu à l’échelle de coques de grands bateaux. Technocraft c’était environ 50 personnes, et la meilleure chose que l’on ait faite a été de développer des outils epoxy hautes températures (les moules) pour les carrosseries. Ca a vraiment accéléré la vitesse du procédé tout en augmentant la qualité.

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Tu travaillais aussi avec les designers (Oliver Winterbottom)? Quels étaient les problèmes du développement ? Quand avez-vous fait la première voiture ?

Je ne travaillais pas directement avec les designers, mais je les ai bien connus. Nous avons eu beaucoup de problèmes avec la distribution de résine et la résine elle-même: les proportions de verre. Les premières carrosseries ont été faites avant que j’y sois mais la première voiture avec une carrosserie VARI c’était la Lotus Elite 4 places de 1974.

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Et ça a été le premier pas pour rejoindre Ketteringham Hall ?

Quand j’ai commencé chez Technocraft Tony s’installait juste à Ketteringham Hall pour réinventer la Lotus de Formule 1, et ce à la demande de Collin Chapman.

Tony m’a demandé de faire le programme d’essais en soufflerie à l’Impérial Collège pendant « mon temps libre… »… J’ai développé la T78 entre 1975 et 1976 et une fois que les recherches sur les composites ont été terminées chez Technocraft, j’ai déménagé chez Team Lotus pour mettre au point les jupes de la T78, puis la T79 etc…

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Peter Warr écrit dans son ouvrage « Team Lotus, My view from the pitt wall » que Colin Chapman s’était isolé des mondanités pendant ses vacances dans sa villa d’Ibiza (marre de bronzer) et qu’il avait écrit 30 pages d’une thèse sur le design de sa future Lotus de F1 et qu’elle devrait avoir des effets de sols. Tu as lu cette “thèse”? Si oui tu en as pensé quoi ?

Je ne l’ai jamais vu en entier parce qu’elle avait été écrite avant mon arrivée chez Technocraft. J’ai reçu ces instructions de Tony (et je soupçonne qu’il en ait écrit une partie), il m’a confié la tâche de réaliser les effets de sols des soubassements dans la continuité de mon travail chez BRM. C’est Tony la connexion.

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Pour terminer sur le VARI process je voudrais te remercier, mon Elite a 41 ans et il n’y a aucun problème avec la caisse, c’est super solide ! J’ai lu une histoire très amusante à propos d’une Esprit qui a été couchée sur le côté conducteur ! Avec tout le poids de la voiture (moteur boite etc… inclus) sur la porte conducteur… et quand ils l’ont reposée sur ses roues la carrosserie n’avait rien ! Je te reparlerai de cette histoire folle plus tard…

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Team Lotus :
Ketteringham Hall

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Quand tu arrives à Team Lotus, tu travailles sur le programme en soufflerie à l’Imperial College, le tunnel a un sol roulant (très important), c’était un tunnel ancien? Lotus y avait déjà fait des tests ?

Le tunnel de 5ft x 4ft de l‘Imperial College était celui que l’on avait utilisé chez BRM, et il n’y avait alors pas la route « roulante ». Le Professeur John Stollery a mis ce tapis roulant pour développer la voiture des records et les bateaux de Donald Campbell. John est celui qui a découvert le principe de la downforce, comme c’est expliqué dans mon livre.

Quand je suis revenu là en 1974/75 la route était toujours là. Lotus n’avait jamais utilisé ce tunnel avant.

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Le professeur Stollery a sorti son ouvrage juste après que tu sois ingénieur diplômé, en 69, il enseignait à l’université de Cranfield, tu l’as rencontré? C’est aussi là-bas que tu as tissé des liens avec David Williams pour la suspension active, Cranfield était un fief important pour tes recherches?

Oui, j’ai rencontré John à l’Imperial College où il était professeur, puis il était toujours là quand j’ai travaillé dans le tunnel en 1968, ainsi qu’au début de mon époque Lotus en 74/75. Par contre il n’y avait pas de connexion avec Cranfield, j’ai fait appel à David Williams après avoir lu un de ses articles sur un système de données informatiques qu’ils avaient fait sur leur avion expérimental d’acrobaties (Cranfield A1); je voulais un système de données pour la T78.

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J’ai regardé les différentes Lotus F1 depuis la T49 qui s’envolait à la T72, le problème avait l’air de concerner le refroidissement (c’est toujours la même histoire quand on met le moteur derrière). Et il y a eu beaucoup d’évolutions… La T49 a le radiateur à l’avant dans le style classique du cigare. Celle qui a mes yeux engage le changement est la Lotus 56, avec la turbine, pas besoin de radiateur, c’est la première Lotus F1 «wedge» (en forme de cale):

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Et la même année en 1968, la T58, avec le Cosworth DFV, elle semble avoir le radiateur à l’arrière, la prise d’air est au-dessus du moteur, ça devait être chaud ! Mais elle garde la même aéro wedge. En 1969… La Lotus 63 (4 roues motrices) a son radiateur qui revient devant, c’est toujours le même vieux problème… On le met où ce radiateur??? En 1972 : La T72 est la première Lotus F1 avec des caissons latéraux (sidepods) pour y mettre les radiateurs, qui a eu cette idée ? En plus elle a de nouvelles suspensions, tu dis dans ton ouvrage qu’elle était très propre au niveau de l’aérodynamique.

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Je ne sais pas de qui venait cette idée comme ça datait d’avant mon arrivée. La première fois que j’ai eu des radiateurs latéraux sur une monoplace c’était quand Lotus a demandé à Specialised Mouldings de tester en soufflerie la Lotus F2 T74 de 1973. Le travail consistait à étudier le flux d’air du radiateur.

Ce que j’ai découvert, c’était qu’à cause des roues avant les radiateurs latéraux devaient faire deux fois la taille d’un radiateur avant. L’augmentation de poids était compensée par le fait qu’il fallait des tuyaux plus courts et moins d’eau. L’autre gros avantage c’est la répartition du poids… et c’est ce qui est recherché par tous les dynamiciens.

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Cette voiture (la T72 F1) va avoir une longue carrière, 4 ou 5 ans, l’idée des sidepods était vraiment très bonne, tu dis dans ton livre que tu as commencé les tests en tunnel avec un modèle de T72, c’était une inspiration ?

Nous nous sommes servi de la T72 comme point de référence, parce que quand nous avons commencé le programme c’était la seule Lotus de formule 1 qui marchait !!

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Comme tu avais dessiné les réservoirs d’essence latéraux de la March 701 tu as eu l’idée de les inclure dans les sidepods pour la T78 ? Tu dis que l’idée venait du bombardier Mosquito De Havilland, avec son système de refroidissement placé sur l’arrête avant des ailes.

L’idée n’est pas vraiment venue du Mosquito, mais une fois qu’on les avait mis là, Tony Rudd a dit que c’était tout comme le De Havilland, il travaillait sur les Merlins pour Rolls Royce pendant la guerre.

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Tu dis aussi que début 75 et à la fin de l’été la configuration générale de la T78 été définie, avec des caissons d’air latéraux qui recevaient les radiateurs d’eau à l’avant, c’était quoi le design des réservoirs ? Aile inversée ?

Oui, nous avons dessiné la forme de l’aile, et Ralph Bellamy y a mis les réservoirs, derrière l’évacuation des radiateurs.

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Et c’est lors des tests dans le tunnel que l’histoire de la Formule 1 va vivre un de ses tournants, Peter et Ralph Bellamy bricolent la maquette en bois, les résultats ne sont pas cohérents. Ils bricolent le modèle avec de la pâte, du carton et du scotch… mais quelque chose ne va pas.

Peter raconte qu’en regardant de plus près il s’aperçoit que les caissons s’affaissent. Et plus la vitesse de la soufflerie est élevée, plus c’est le cas. Cela signifie qu’ils ont généré de l’effet de sol : la downforce, mais aussi qu’il y a quelque chose à faire avec l’espace entre leur arête inférieure et le sol. Après les avoir refixés correctement, ils ne s’affaissent plus et les tests ne montrent plus d’effet de sol, et les résultats restent mauvais, alors ils collent des jupes en carton pour boucher l’espace entre le bas des sidepods et le sol, laissant 1 mm d’espace. L’effet de sol de toute la voiture se met à doubler, sans grande conséquence sur la traînée. C’est une révolution.

Nous n’avons pas parlé de Ralph Bellamy, il était là lors des tests, c’était quoi son job ?

Tony l’avait recruté en tant que responsable du design de la T78, j’ai travaillé avec lui juste pour les tests en soufflerie. Nous étions en lien pour le design des pièces de la maquette. Il a dessiné la structure de la T78 et ça s’est mal passé pour lui avec Colin Chapman suite à ça.

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Ainsi la T78 sortira avec des jupes qui se terminent avec des brosses pour entrer en contact avec le sol. Mais les brosses en nylon ne tiennent pas la distance et ne sont pas assez étanches, lors d’un test, Mario Andretti (le pilote) et les autres ingénieurs de course veulent mettre ce projet de côté. Sauf que Colin Chapman intervient en personne, il ordonne que l’on continue, et à la fin de la séance les résultats commencent à venir. Il demande à Peter de bosser à 100% là-dessus.

Pour les néophytes, les effets de sols consistent en une baisse de pression sous la voiture, elle se tasse sur ses roues ce qui augmente l’accroche des pneus, c’est la machine à prendre les virages hyper vite, la voiture colle à la piste et les pilotes prennent jusqu’à 5G latéraux en virage.

De quand date cette découverte? La mise au point a été longue ? Ca a changé le design des monoplaces pour toujours ! Tu regardes toujours les sidepods des F1 modernes ?

C’était pendant l’année 1975, mais je ne me rappelle pas de la date. Une fois l’expérimentation faite, la T78 n’avait pas beaucoup de problèmes. Elle était finie en 76 mais Chapman l’a gardé pour 1977. Les jupes étaient à l’origine des brosses mais elles ne fonctionnaient pas bien. Mais bon, ce n’était pas mal parce que tous nos concurrents avaient conclu que les effets de sols ne marchaient pas, du coup ils ont mis du temps à se mettre au niveau.

Je ne m’occupe plus du design des F1, et puis il faudrait 100 aérodynamiciens avec un tunnel d’échelle 60% et des ordinateurs surpuissants pour se remettre à niveau maintenant !

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Tu as un plan ? Un dessin ? Une photo de cette révolution ? Beaucoup de choses ont été dites sur les jupes, les sidepods, mais on ne sait pas vraiment comment c’était dedans.

Jettes un coup d’œil là-dessus :

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Ah oui, j’ai trouvé une photo aussi :

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Dans ton livre j’adore cette histoire du banc d’essai des jupes : « j’ai attaché mon système de tests au pare-chocs arrière d’une Renault 4L fourgonnette de l’usine d’Ethel, j’étais couché à l’arrière pour les regarder pendant qu’on tournait à fond autour du circuit d’essai ».

Confortable ???

No !

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1977 :
L’année de la force

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La coïncidence est amusante, 1977, l’année de la sortie du film Star Wars qui va faire la réputation mondiale de la force est aussi l’année où la downforce va montrer ce dont elle est capable en F1. Tu as vu le film ?

Yes. in 1977, that’s what we had, the Force !

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La T78 remportera les grands prix de l’Ouest des Etats-unis, d’Espagne, de Belgique, de France et d’Italie, Lotus obtiendra la seconde place au championnat du monde des constructeurs.

PalmBeach 1977 c’est la première victoire d’une de tes voitures ?

Yes!!

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Tu y étais?

Non, j’avais tout juste rejoint Team Lotus.

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Ici au grand prix de Palm Beach, la première victoire de la T78 mais aussi la première victoire d’un pilote américain à domicile : Mario Andretti, ici devant Niki Lauda  sur Ferrari:

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La voiture manquera de peu de décrocher le titre, pourtant Peter n’est pas satisfait :

Au début la voiture n’était pas si rapide que ça car les jupes ne marchaient pas, et elle devait avoir beaucoup d’aileron arrière pour compenser l’effet de sol qui était centré trop en avant. Du coup la vitesse de pointe était basse. Ce sont nos concurrents qui ont décidé d’eux même que les effets de sol n’existaient pas…….

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Tu parles dans ton livre de cette rumeur qui dit que Ferrari aurait testé un modèle à effet de sol dans son tunnel mais qu’il ne marchait pas. Tu dis même que c’est « peut-être » parce qu’ils n’avaient pas de tapis roulant. Quand tu écris ça j’ai l’impression que tu te marres…

Absolument ! Ils ont utilisé le tunnel de Pininfarina.

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Ensuite Colin Chapman est à nouveau parti en vacances dans sa villa d’Ibiza et revient avec un plan de configuration de la T79, c’était quoi les changements ? L’emplacement des réservoirs ?

Il changeait l’ensemble de la structure, il s’est d’ailleurs brouillé avec Ralph qui ne croyait pas en ce projet. Et Ralph avait raison: La T79 compromettait tout pour les effets de sols.

Ralph était un spécialiste des structures allégées et c’était aussi le cas de Colin. La T78 utilisait dans sa fabrication des panneaux sandwich aluminium/nid d’abeilles, qui sont très légers et rigides à la fois, qui ne gondolent pas quand la structure est en torsion. Or, Colin est revenu d’Ibiza avec le design de la T79 utilisant des panneaux simple peau. Ils n’étaient pas assez rigides en torsion et Ralph le savait…

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Fin 1976 Peter Warr avait déménagé chez Wolf et en 1978 ils ont la seconde ground effect car ! la WR2, coïncidence ?

Je pense qu’Harvey Postlehwaite était capable de les sortir de lui-même. C’était un scientifique.

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Cette fois ci, en 1978 Lotus décroche le titre mondial ainsi que Mario Andretti, mais la voiture n’est toujours pas parfaite, comme en témoigne le pilote:

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La première course de Zolder (les débuts de la T79) Je n’aurai pu imaginer être capable de la gagner ! Alors que j’allais au milieu des chicanes je devais pomper, pomper, pomper, tu sais… Ce que j’ai eu à faire tout le temps, c’est que quand je dévalais les lignes droites, je devais continuer de pomper les freins du pied gauche pour être sûr d’en avoir dans les virages.

Et quand je rentrais et que j’allais me plaindre à Colin, la voiture avait le temps de refroidir un peu, quand les mécaniciens y allaient pour vérifier la pédale, il y avait des freins ! Du coup il n’y a jamais cru ! (rires).

Mario Andretti

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That’s just it! Colin Chapman a voulu mettre des étriers en magnésium et du gaz s’en émanait quand ils étaient chauds (réaction avec le liquide de freins). Ca a pris un peu de temps pour que l’on comprenne.

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Colin Chapman décide alors de pousser encore plus avant les effets de sols, Ils utiliseront toute la longueur de la voiture pour en générer un maximum sur la T80 et les jupes iront jusqu’à l’arrière de la voiture.

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C’est alors que les problèmes vont apparaître pour maitriser cette force, lorsque la voiture prend un vibreur cela perturbe la downforce, la voiture se met à rebondir et Peter explique qu’un phénomène appelé en anglais « porpoising » est apparu, terrorisant le pilote. Pour la rattraper il est obligé de freiner… ce qui n’est pas le but recherché.

Mais c’est quoi ce truc ? A porpoise, en anglais, c’est un marsouin, donc la voiture oscille d’avant en arrière et inversement. On peut donc dire en français qu’elle marsouine* , en fait le centre de la force sous la voiture se déplace et devient instable, voire disparaît.

Et comme la T80 se rapproche de plus en plus en plus d’une aile d’avion inversée… Elle a les symptômes inhérents aux ailes d’avions. Mais pour qu’elle génère ce genre de problème, la downforce devait être très très forte non ?

Oui, mais c’était compensé par le frottement des jupes, et ce dernier avait un effet imprévisible…

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Mais si j’ai bien compris il y a deux phénomènes, le premier c’est que lorsque la voiture prend un vibreur par exemple, elle commence à rebondir et à tanguer; c’est vrai que le pilote pouvait voir les roues avant se lever ?

Nous avions branché un enregistreur à cassette sur Mario à Silverstone et c’est ce qu’il a dit: Calme comme toujours… Il a témoigné qu’il avait pu voir la lumière du jour passer sous les pneus de devant…

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Et la deuxième chose qui se produit ensuite, c’est que les masses amorties de la voiture (le centre de la voiture, poste de pilotage, moteur etc..) commencent à tanguer sur la suspension aussi, amplifiant le premier phénomène? Si c’est bien ça je peux comprendre que la voiture était dure à piloter 🙂

C’est une combinaison de houle et de tangage, c’est comme plier et tordre une aile d’avion qui vibre.

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Peter se rapproche alors de son partenaire, David Williams du Cranfield College of Aeronautics, avec qui il a mis en place le système d’acquisition de données sur les voitures. David étudie les données informatiques recueillies et conclue qu’il s’agit d’un problème d’aéroélasticité : comme le flottement d’une aile d’avion.

Ce problème n’est pas à prendre à la légère, les conséquences du flottement que l’on peut lire sur Wikipédia ne donnent pas envie d’essayer :

« Si les fréquences de torsion et de flexion se rejoignent pour une vitesse de vent donnée, la dynamique du système devient instable dans le sens que le mouvement sera amplifié très rapidement et conduira généralement à la destruction de l’engin. »

Alors il a dit quoi, David Williams, quand il s’aperçoit que la voiture a un dangereux problème d’avion?  😀 

C’est différent d’une aile. L’élasticité d’une aile est structurelle ; sur une voiture c’est la suspension. Je ne me rappelle pas qu’il ait dit beaucoup de choses, mais il a fait avancer la théorie plus loin, un autre scientifique !

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Cette découverte est importante, elle conditionnera les recherches futures de la F1. Peter tente alors de rigidifier la suspension et la voiture rebondit encore plus.

Il pense alors que pour résoudre le problème il faudrait dédoubler le système de suspension, il faut un système très rigide pour contenir le marsouinage, il devra amortir seulement les appendices aérodynamiques de la voiture, et un autre système plus souple devra amortir le reste pour la rendre plus facile à piloter. C’est le double châssis.

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Lotus T88 :
L’innovation interdite

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Un jour David Williams lui dit « ce qu’il te faut c’est une suspension active ». Il en développe une pour un système électrique de commande de vol, l’ordinateur permet d’obtenir n’importe quel taux d’amortissement, à n’importe quelle hauteur, supportant n’importe quelle masse. Châssis double ou suspension active ? Peter fera les deux…

Après de très longues recherches j’ai fini par trouver quelques photos de toi! Il n’y en a pas beaucoup, on dirait que tu n’aimais pas ça, tu passais toute la saison sur les circuits où bien tu restais à Ketteringham Hall ? Je vois toujours les mêmes mécanos mais pas toi…

Je ne suis pas allé aux courses avant 1980, quand je suis devenu ingénieur de course pour Elio De Angelis. J’y suis resté jusqu’en 83 quand l’active a été lâchée et que j’ai rejoint Lotus Engineering.

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Peter a écrit un article sur le twin-châssis: Il y explique que l’idée vient de l’intention d’adapter des effets de sols à une Lotus Esprit Turbo, qu’il suffirait de fixer un kit aérodynamique aux fixations basses des suspensions.

Du coup la voiture ne serait pas sujette au marsouinage, seul le kit pourrait le ressentir, mais pas les masses amorties, pourquoi ne pas faire ça sur une F1 ? Peter propose à Colin Chapman l’idée du double châssis. Ce dernier sait que de débarquer avec un tel engin ne sera pas du goût de ses concurrents. Fin 1980 ils le testent sur une base de T80 : ce prototype sera la T86, qui se différencie de la T88 car cette dernière a une monocoque en carbone/kevlar, une des toutes premières de l’histoire de la F1.

Peter va demander à CC et lui propose un test : faire une tour de 15 mètres de haut, faire tomber des blocs de béton de 100 kilos sur des échantillons de fibres de carbone pour voir ce qui est le plus solide. Chapman accepte, c’est le genre d’expérience qui lui plait.

L’idée de la monocoque vient de Martin Olgivie, le collègue de Peter qui a remplacé Ralph Bellamy.

Tu as beaucoup travaillé la fibre de carbone pendant ta carrière, tu as commencé dès ton passage chez Specialised Mouldings, et vous innovez en 81 avec la première monocoque carbone/kevlar qui arrive en même temps que celle de Mc Laren.

La première Lotus à monocoque CFRP (carbon fiber reinforced plastic) était la T88, la voiture à double châssis, nous avions besoin qu’elle soit très légère.

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Vous vous impliquiez aussi beaucoup dans la sécurité, les lâchers de blocs de béton de 100 kg en attestent…

C’était notre toute première expérience sur les propriétés d’absorption d’énergie du CFRP. A l’époque les pâles des réacteurs Rolls Royce RB211 se cassaient.

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Ce sont les débuts de la compagnie pétrolière ESSEX comme sponsor principal, c’était un type étrange ce David Thieme ! Sex Drugs and Rock n’Roll ?

Complètement déjanté! Je ne me suis pas trop impliqué dans la mouvance Sex Drugs and R&R.

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A propos de la T88, j’ai vu ça (on y voit bien la structure monocoque carbone kevlar), c’est toi sur cette photo? Tu as travaillé avec Nigel Mansell ?

C’est moi ! J’étais l’ingénieur course de Nigel quand il a rejoint Team Lotus.

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La T88 est une vraie beauté, c’était laquelle ta préférée?

Ma préférée était la T78 comme c’est avec elle que le travail de découverte a été fait.

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Les désaccords « Concorde »

 

1981 est une année mouvementée pour la Formule 1 dont le championnat est dirigé par deux instances qui sont en pleine guerre. Il y a d’un côté la FOCA de Bernie Ecclestone (Formula One Constructors association, association de constructeurs essentiellement britanniques ) et de l’autre côté la FISA de Jean Marie Balestre (Fédération Internationale du Sport Automobile) qui regroupe les constructeurs traditionnels (Ferrari, Renault, Alfa et Ligier/Matra).

Mr Balestre a bien tenté d’évincer ce troublion de Bernie: il organisa une rencontre avec Chapman au Mans pour qu’il fasse un coup d’état et prenne la tête de la FOCA. Colin Chapman d’abord intéressé, recula et laissa tomber Jean-Marie Balestre.

Le noeud du désaccord repose sur des questions techniques: la FISA veut interdire les jupes tandis que la FOCA veut interdire les moteurs Turbo car les petits constructeurs anglais n’ont pas les moyens de se les payer et leurs entreprises sont menacées.

Début 1981 Bernie Ecclestone (Brabham) fait un énorme coup de bluff: il organise un grand prix à Kyalami, sans demander son avis à la FISA, il prétend organiser son propre championnat, en vérité, il n’en a ni les moyens, ni l’intention. Goodyear ne les suivra pas, mais Max Mosley rapportera que Bernie s’en fichait, il avait un hangar plein de pneus Avon!

Le grand prix aura lieu, il n’y avait que des voitures anglaises à moteur Ford Cosworth.

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Les deux « fédérations » se réunissent à Paris, ils se partagent les pouvoirs: la FISA garde la main sur la réglementation technique et la FOCA gérera les droits de télévision.

Bernie Ecclestone vient de faire le hold-up du siècle: les écuries se partageront les revenus en fonction de leur classement. De plus, l’obtention des droits TV leurs permettra d’attirer plus de sponsors en développant une meilleure couverture médiatique. De son côté, Jean-Marie Balestre sait qu’il leurs en a trop donné et compte bien réaffirmer son autorité.

Et c’est en plein milieu de cette période tourmentée qu’est présentée la Lotus T88. Exaspérant tous ses concurrents, la FISA va se montrer intraitable avec elle. Alors que les contrôleurs de la FOCA déclarent la voiture conforme au règlement, les inspecteurs de la FISA sortiront systématiquement le drapeau noir.

Pour Colin Chapman, il n’y a aucune raison valable d’exclure sa voiture. Il hausse le ton dans un communiqué destiné à Jean-Marie Balestre en expliquant que la Formule 1 se doit d’être un lieu de compétition et d’innovation, il se désole qu’elle soit devenue le théâtre de « manœuvres politiques entre des manipulateurs et des hommes d’argent qui attendent de tirer plus de ce sport que ce qu’ils y mettent ». A partir de là il se désintéressera presque totalement de la F1 et se passionnera pour ses avions ultralégers, et ce, jusqu’à sa mort.

Comme nombre de personnes impliquées sont toujours de ce monde et que mon fond de pension n’est pas si grand que ça, je ne vais pas vous raconter tous les détails de cette période difficile!

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Peter, j’ai lu que la T88 est sorti juste après l’accord concorde de 1981 (si on peut appeler ça un accord…) ; ce n’était peut-être pas le moment idéal ? Non ?

La T88 a solutionné le problème du bannissement des jupes. Ce n’était pas son but initial, mais on a réalisé qu’on avait la solution à ce moment là. Donc elle ne pouvait pas être autorisée à courir car le nouveau concorde reposait sur l’interdiction des jupes pour aider Ferrari.

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Je suis assez objectif puisque je n’y connais pas grand-chose en F1 mais je suis quand même surpris par les décisions de la FISA. D’interdire tout ce qui aurait pu apporter un meilleur contrôle des effets de sols (ventilateurs, jupes, double-châssis), ces décisions ne rendaient-elles pas les voitures plus dangereuses au final?

Il y avait deux problèmes : Ferrari n’était pas très bon en effets de sols, la source du problème étant l’utilisation du V12 à plat. Le second problème était que les voitures allaient trop vite: jusqu’à 5g en freinage et virage. Donc la loi sur la sécurité pouvait toujours être utilisée.

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Du coup Elio de Angelis roulera sur la T81, et son co-équipier sera Nigel Mansell qui débute alors en F1.

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Team Lotus and Peter Wright
Part 2: Active Suspension

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Comme la T88 est interdite Peter va proposer à Colin Chapman la solution que lui avait indiqué David Williams : la suspension active. Ce système permet de maintenir une hauteur de caisse constante et d’optimiser l’effet de sol. Tu as écrit que le bureau de CC était juste à côté du tien, on ressent que tu as beaucoup de respect et une profonde admiration pour lui.

Oui, c’était un génie contrarié mais c’était très excitant de travailler pour lui !

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The Lotus Esprit
Active Suspension Prototype

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Quand as-tu commencé ton travail sur la suspension active? 1982 ?

La suspension active, c’était le plan B, envisagé même avant la T88, mais qui a vraiment commencé mi -81. Je suis allé voir Chapman avec une proposition qu’il a accepté 30 minutes après et il m’a aussitôt trouvé une Esprit (ex-Essex). Six mois après elle était roulante, on l’a testé et on a construit la F1 à suspension active en six mois.

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Le prototype Lotus Esprit S3 à suspension active doit être l’un des trucs les plus excitants et marrants que l’on puisse conduire ! Exceptionnellement c’est une voiture de route qui sert de laboratoire à la F1.

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Peter raconte dans son livre que Colin Chapman est venu pour voir la voiture, alors Peter a malencontreusement levé très vite les potentiomètres et la poussée verticale a fait que sa main les a rabaissés aussitôt, la voiture a décollé des quatre roues et C. Chapman en est sorti en secouant la tête. Il aurait dit alors « la différence entre les hommes et les garçons c’est le prix de leurs jouets ».

Les pilotes d’essai seront entre autres Elio De Angelis et Nigel Mansell. Ce dernier embarquera un journaliste et lui fera prendre 1.5G latéraux. De Angelis embarquera Chapman qui conduira aussi la voiture, conquis par le résultat, il ordonat qu’on adapte le système à la prochaine F1 : la T92.

Alors que Peter est dans l’Esprit avec un jeune pilote d’essais ils quittent la piste dans un virage à 160 kmh, ils n’ont rien. Lorsqu’ils rentrent au garage, Peter Warr leur annonce que Colin Chapman est décédé la veille au soir d’une crise cardiaque, mais qu’il faut continuer.

L’Esprit prototype est une curiosité, elle a reçu la visite de nombreux chercheurs de la concurrence. Mercedes, qui tentait de mettre au point ce type de suspension, General Motors, qui essayait depuis 10 ans d’en faire une. Ils viendront voir la T92 dès son premier grand prix au Brésil et ce sera le début du rapprochement entre les deux marques.

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Je me suis bien évidement posé la question sur ce qu’il est advenu de cet ovni, la voiture est resté toute son existence à Hethel, des salariés l’ont caché dans l’usine après qu’elle ait passé quelques années dehors suite aux rachats successifs de Lotus. Elle a même fini comme élément de décoration du hall d’entrée.

Et à la fin de l’année 2016, alors que Proton, propriétaire de Lotus, avait vendu toutes les voitures sauf celle-ci… un homme a réussi à l’acheter ! C’est l’auto dont je parlais au début. La sortie incroyable d’une auto incroyable!

Ce courageux acheteur se prénomme Stuart, il écrit ceci :

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Elle était emmurée et j’étais le seul à être suffisamment taré pour penser qu’on pourrait la sortir comme ça. 5 personnes, de sept heures du matin à quinze heures pour faire 11 mètres !

Stuart

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En fait la voiture est parfaitement complète… à l’exception de l’ordinateur qui gère la suspension, Peter ? Tu as gardé le programme ?

Elle avait un ordinateur analogique, pas digital, donc pas de software, tout était dans le câblage du circuit imprimé, les seuls changements que l’on pouvait faire étaient avec les potentiomètres où un fer à souder. Nous n’avons pas eu de processeur digital assez rapide avant 1983, quand nous avons commencé le développement commercial et construit un ordinateur digital.

L’ordinateur d’origine était cylindrique, avec des circuits imprimés semi-circulaires branchés sur un bus de données central.

Si je me souviens bien il a été adapté pour faire celui de la F1 en 1982/3, et donc celui de l’Esprit a dû devenir une pièce détachée quand on l’a faite courir. Où est-il maintenant… Aucune idée.

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Si je comprends bien, l’Esprit était restée à Hethel tandis que l’ordinateur part chez Team Lotus pour la F1… Cela signifierait que la voiture n’a jamais pu rouler entre temps. Son histoire serait donc parfaitement vierge depuis.

J’ai reçu de bonnes nouvelles de l’Esprit Active, Stuart a retrouvé l’ordinateur d’origine et il projette d’en faire fabriquer un tout neuf. Tu penses quoi du retour de cette voiture ?

Ce sera brillant si Stuart la refait rouler, dis-lui de faire attention à la pompe hydraulique, elle avait trois heures d’autonomie seulement.

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C’était la seule qui ait été faite où bien y-a-t ’il eu plusieurs versions ?

C’est la seule. Plus tard nous avons construit une Excel mais c’était vers 1985 et elle avait un ordinateur digital.

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Lotus T92 :
La première F1 à suspension active

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La T92 à suspension active sera pilotée par Nigel Mansell pour sa première sortie au Grand Prix du Brésil 1983, elle recevra la visite technique de Général Motors, vous remarquerez le sticker College of Aeronautics Cranfield.

Nigel Mansell est alors très frileux à l’encontre de la suspension active, il déclare poliment que le système alourdit la voiture et que les chevaux qu’il absorbe pour fonctionner lui font défaut. Bien plus tard dans sa biographie, il expliquera qu’il avait une peur bleue que l’ordinateur se coupe au milieu d’un virage. Quand Mario Andretti s’était opposé aux premiers effets de sols, Colin Chapman avait ordonné leur développement. Il n’est malheureusement plus là désormais pour défendre sa suspension active.

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A propos de la T92 j’ai lu un article publié dans Car Magazine en 83 et tu écris que tu as rentré les mauvais paramètres dans la voiture de Nigel Mansell au Brésil.

Non, j’ai vérifié l’ordinateur et il était vide! Je me suis assis sur la voiture, sous le soleil brésilien, et j’ai reprogrammé tous les paramètres.

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Nigel Mansell ne semblait pas avoir confiance dans la suspension active, je pense surtout qu’il voulait avoir le moteur Renault Turbo non ? (Elio de Angelis a la seconde voiture ainsi équipée, sans suspension active alors que Mansell a le Cosworth).

Yes ! Cependant je n’ai aucun problème avec Nigel. Un type marrant mais il est OK.

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Dans sa biographie il écrit que les personnes qui ont inventé les effets de sols chez Lotus sont des génies. Il admet que la suspension active était la bonne solution mais qu’il ne voulait pas être le cobaye du développement. Paddy Lowe, de chez Williams, explique dans un article qu’il lui faudra créer un gros département de R&D pour que sa suspension réactive possède un mode de sécurité au cas où l’ordi plante… et c’est seulement après ça que Nigel a accepté de conduire la voiture… Tu vois, t’es pas le seul.

En 1983 c’était très nouveau. Vers 87 ça c’était beaucoup développé et je pense que Williams et Lotus avaient de très bons systèmes cette année là. Le système Lotus était plus sophistiqué et il nécessitait plus de temps pour en tirer le meilleur. Patrick Head m’a dit que s’ils avaient eu à aller plus loin ils auraient du s’orienter vers l’approche de Lotus pour progresser… si ça n’avait pas été banni.

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Les règles de la fédération changent aussi, dorénavant les planchers sous les voitures devront être plats alors que la T92 a été réalisée avec des effets de sols très puissants. Les nouvelles voitures ne générant pas beaucoup de downforce, le nouveau système n’a plus d’intérêt et Peter quitte Team Lotus pour rejoindre Lotus Engineering et faire évoluer l’active pour les voitures de route.

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Lotus Engineering et Ayrton Senna

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Après ça, tu rejoins Lotus Engineering pour appliquer la suspension active aux voitures de route et assurer sa commercialisation. C’était une partie du concept Etna ? Sur quelles voitures le concept a-t-il été appliqué ?

Ca ne faisait pas partie du concept Etna. Nous n’avons jamais pensé que c’était viable en production et nous l’avons sorti sur le marché en tant que système de recherche pour développer des concepts avancés de suspension et de tenue de route.

Nous avons construit des voitures de recherche pour de nombreux constructeurs et nous étions payés pour assurer la R&D qui y était associée. Seuls les gens de chez Corvette ont envisagé la production mais ils se sont vite aperçu que ce n’était pas possible. Aujourd’hui, de nombreuses voitures de luxe utilisent des éléments de ce système.

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C’était certainement difficile de rester plus longtemps en F1, le processus créatif est plus qu’exigeant, il faut faire une nouvelle voiture tous les ans, combien de temps tu as fait ce métier de dingue ?

J’ai travaillé deux ans chez BRM, puis quatre chez SM. 2 ans chez Technocraft avec le travail pour Team Lotus en parallèle, puis Team Lotus à plein temps de 1977 à 1983. Quand Chapman est décédé, je suis parti chez Lotus Engineering développer la commercialisation de la suspension active. De retour en 1987 pour une année sur l’active à Team Lotus avec Senna, chez TL de 1991 à 1994, puis à la FIA depuis.

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Je me demandais si tu avais conduit une de tes F1 à effets de sols ? Je peux comprendre que ce n’étais sûrement pas autorisé (et tu es grand) mais si oui ? C’était comment ?

Non, je n’ai même jamais essayé d’y entrer. Les seules voitures de course que j’ai conduit sont une formule BMW et une Bugatti Type 51.

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Les F1 à planchers plats vont vite retrouver leur downforce grâce au développement des diffuseurs et dès 1986 la suspension active connait un regain d’intérêt. L’écurie Williams en prévoit une pour la saison 87. Nigel Mansell est alors  leur pilote et s’y oppose encore une fois.

Chez Team Lotus on se souvient alors qu’on en avait une. Ils font appel à Peter mais cette fois il reste salarié de Lotus Engineering et travaille sur la T99 en tant que sous-traitant. Le système a eu le temps de mûrir loin de la pression des paddocks. Il est désormais couplé à des ressorts au cas où l’ordinateur planterait.

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Le pilote est un jeune homme qui entame sa troisième saison pour Team Lotus : Ayrton Senna. (Peter est en arrière plan avec son casque).

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J’ai aussi lu quelque part que contrairement à Nigel Mansell, c’est Ayrton Senna qui aurait demandé à avoir la suspension active sur la T99, vrai ?

Je le crois, mais je ne faisais alors pas partie de Team Lotus. Je lui avais organisé un essai de l’active dans l’Excel. Peu de temps après nous avions à faire un programme pour TL.

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Tu as du beaucoup travailler avec lui, c’était comment ?

Comme avec le plus extraordinaire et le plus brillant pilote avec lequel j’ai pu travailler. Pas facile, il disait toujours ce qu’il pensait, mais tu savais exactement où tu allais. Brillant !

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Senna va remporter deux victoires en 1987, Monaco et Detroit, la suspension active se montre efficace. C’était quand la première fois que tu as travaillé sur un circuit?

A part effectuer des tests, en 1980.

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Quel y a été « ton meilleur jour » ?

Les bons jours ont été : faire marcher les jupes lors des tests de Snetterton ; le championnat du monde de la T79 ; gagner Monaco et Detroit en 1987 (j’y étais à celles-là). Cette dernière était très importante pour Lotus Engineering dont la plupart des clients étaient basés à Detroit.

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En effet en 1986 Group Lotus avait été acheté par General Motors…

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Il semble que la victoire de la T99 à Detroit a été un tremplin pour vos carrières, Senna s’envole pour Mac Laren et toi tu deviens directeur de Lotus Engineering.

De gagner à Detroit était utile pour Lotus Engineering car nous avions beaucoup de clients américains, et les séniors de l’exécutif attendaient des résultats du grand-prix.

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Promotion ?

Je suivais juste Tony Rudd qui avait quitté son poste pour diriger Team Lotus.

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Tu as fait quoi là-bas ? Sur quelles voitures as-tu travaillé ?

En tant que directeur du management je dirigeais 500 ingénieurs et techniciens mais je ne travaillais sur rien de particulier. La Elan M100 était alors dessinée et développée donc j’ai été impliqué dans le programme. Nous avons fait beaucoup de travaux sur des moteurs et des châssis pour de nombreux clients, beaucoup étaient loin à l’Est. D’ailleurs, le groupe de recherche sur l’active était alors assez gros.

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L’année suivante Lotus Engineering présente le devis à Team Lotus, ils ont envoyé leurs ingénieurs gratuitement en 1987 mais veulent être défrayés pour la saison 88. L’écurie refuse de payer. Encore une fois le règlement change, les turbos sont d’abord bridés puis carrément interdits à la fin de la saison. Ce sera le début de la fin pour Team Lotus. Ayrton Senna s’en va, puis le directeur de l’écurie Gerard Ducarouge, suivi par le motoriste Honda qui quitte le navire fin 88.

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En route vers la FIA

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En 1990 la famille de Colin Chapman, qui est toujours propriétaire de Team Lotus, demande à Tony Rudd de sauver la boutique. Un consortium est créé, présidé par Peter Collins et Peter Wright. Le manque de sponsors leur rend la tâche très difficile, ils choisissent donc de faire évoluer la vieille 102, puis sortent la 107.

La famille de Colin Chapman te demande de revenir et tu le fais ?

Tony Rudd tenait Team Lotus durant cette période, mais quand il a décidé de prendre sa retraite et que Team Lotus a perdu de l’argent, il a suggéré que je sois de la partie. Je n’étais pas préparé à le diriger, donc j’ai convaincu Peter Collins de me rejoindre à la tête du Team.

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Je trouve ça très courageux. Je pense que vous avez fait un travail formidable, contrairement à ce que les mauvaises langues racontent dans leurs blogs. Vous héritez de la vieille 102, puis vous faites la 107 avec laquelle vous parvenez à la cinquième place de la saison 1992, et je pense que vous n’aviez même pas la moitié du budget des autres écuries…

Nous étions totalement sous financés, juste au moment où les grosses écuries, Williams, Mc Laren, Ferrari, investissaient lourdement dans la technologie. Honda a voulu racheter Team Lotus mais Cosworth nous a mis sous administration judiciaire, et là c’était la fin.

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Quand c’est fini tu pars pour la Fédération Internationale Automobile (FIA). Tu commences cette nouvelle vie en tant que conseiller technique. En fait c’est une troisième carrière pour toi, et la plus longue (23 ans). Aujourd’hui tu es le président de la commission de sécurité de la FIA. Tu as même trouvé le temps de construire un Type 51 ! C’est fou !

Quelles ont été tes batailles ? Tu as déjà levé le drapeau noir sur une Ferrari ?  😛 

Non! Le travail sur la sécurité a toujours été mis en avant. En F1 il y a Charlie Whiting, qui est le meilleur pour mettre la sécurité en application. Il a mené les batailles, nous avons juste développé les technologies, e.g HANS, les barrières, ADRs etc…

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Comme la F1 est une partie du monde automobile inaccessible pour le commun des mortels, le monde de la FIA en est encore plus éloigné. Si tu peux nous en dire un peu plus à propos de ton travail aujourd’hui et dans le futur, ce serait une bonne fin d’article.

J’essaye de prendre ma retraite. Je suis revenu en Angleterre pour ça, mais à 71 ans, j’essaie toujours. Je travaille toujours sur la sécurité, et je dirige quelques projets de R&D à long terme, tout comme je surveille globalement les règles au travers de la commission de sécurité de la FIA. J’ai besoin d’un volontaire pour en prendre le contrôle, mais personne ne veut de cette responsabilité.

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Je remercie Peter Wright pour sa gentillesse et son implication, je n’aurai jamais cru qu’il nous accorderait autant de son temps et ce fut un réel plaisir pour moi d’écrire cet article avec lui. Et voilà, maintenant j’ai des envies de Lotus S3…

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Sources

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Je vous conseille évidement de lire ses ouvrages :

Formula 1 Technology (édition SAE international 15 Juillet 2001)

Ferrari Formula 1 (éditions David Bull 2004)

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Notes

*: © Damien 2017: « ma voiture marsouine, surement à cause de l’effet de sole »

 

6 Réponses

  1. Colin Chapman

    Passionnant article!
    Pour info, l’Excel à suspension active est passée récemment en vente sur ebay en triste état… Elle est restée des années dehors et la partie informatique de la suspension a été cannibalisée…

    Répondre
    • Damien
      korteix

      Merci pour l’info, vendue (ou pas…) en Juillet dernier. Ce qui devait coûter une fortune à l’époque ce sont les actuators du système, je pense que ça va prendre du temps mais cette voiture (comme l’Esprit) finira par rouler à nouveau. Il n’y en a que deux, avec des gens qui les ont conduites assez connus quand même pour qu’on s’y intéresse, Stuart me disait qu’il n’était pas au courant que Chapman avait conduit sa voiture, tout comme le vendeur de l’excel ne doit pas etre certain que Senna ait conduit la sienne, mais bon, Peter en a témoigné et il est plutôt du genre sérieux.

      Répondre

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