Marques disparues : Peerless - Auto Reverse

Maintenant, vous en êtes certains, vous avez une passion malsaine pour la fibre de verre anglaise…

 

1961_Daimler_SP250_Roadster_Front_1

Elle s’est insinuée progressivement en vous. Ca a commencé avec les lignes perfidement tendues d’une Lotus Esprit S1. Puis vous avez commencé à trouver du charme à quelques vieilles TVR. Ce fût la dégringolade: vous avez tenté de chiner une Scimitar puis une Jensen 541. Enfin vos amis ont compris qu’ils devaient intervenir lorsque vous étiez profondément décider à acheter cette Daimler SP250 vue sur un site d’annonces… Vous lui aviez trouvé du charme.

Et bien sachez qu’ici aussi, nous avons cet étrange travers qui consiste à aimer rouler dans une baignoire construite à l’envers, à assimiler l’odeur de la résine à celle de la mécanique et à supporter ces grincements malsains qui nous rappellent nos premières expériences automobiles… au volant d’une voiture de manège.

Voici aujourd’hui un des Graal de l’amateur de bizarreries: remettez au garage votre Jensen CV8, rangez votre Bond Bug dans un placard à balais, voici une auto produite durant seulement trois années, basée sur une mécanique Triumph et un châssis pour le moins artisanal.

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Tout commence à Slough, à l’ouest de Londres…

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PeerlessTruck_editedPeerless était une marque automobile américaine qui produisait au début du XXeme des berlines haut de gamme et quelques camions utilisés par l’armée américaine durant le première guerre mondiale. Vilement abandonnés à l’issue du conflit, ces robustes véhicules vont être rapatriés dans un dépôt situé près du front ouest, au sein de la petite ville de Slough pour être revendus en tant que surplus militaire. Les années passant, la sage affaire de négoce de surplus va se transformer en garage puis en usine de fabrication de pièces détachées pour ces fameux camions. 20 années passent et la « Slough Lorries and Componants » prospère et produit plus de camions que sa succursale américaine qui tentera même d’aller prendre quelques deniers sur le marché plus rentable de la bière…

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En 1956, James Byrnes est un riche hôtellier.

 

 Peerless GT1

Mais sa danseuse, c’est la course automobile. Exigeant, il souhaite sa propre auto et approche un mécanicien de génie, Bernie Rodger, déjà réputé dans la région pour avoir commis plusieurs véhicules aux performances impressionnantes. Ce dernier est convaincu par le projet et le compte en banque de son ami hôtelier qui rajoute dans la balance une forte amitié avec les ingénieurs de la marque Triumph, clients réguliers du bar de son établissement…

Bernie se met à l’ouvrage, il conçoit un châssis fait de carrés d’acier organisés en 16 cadres tubulaires qui supportent la mécanique et les trains roulants d’une TR3. Le tout est emballé dans une élégante carrosserie en aluminium et au début de l’année 1957, le coupé deux places « Warwick gt », en référence à l’établissement de James, est prêt à être testé. Les résultats dépassent leurs espoirs: l’auto atteint les 200 Km/h et franchit la barre des 100 en moins de 10 secondes!

Fier de sa réalisation, Jimmy file la présenter à son ami John Gordon, grand concessionnaire Rolls Royce. Emballé, il convainq ses deux compères de s’associer avec lui et de mettre à profit sa connaissance de la vente d’automobiles: Puisque cette auto est belle et performante, autant la vendre!

John suggère de rajouter deux places à l’arrière et d’élargir l’habitacle, Bernie en profite pour modifier le train AR avec un essieu De Dion et ils proposent cette seconde auto au salon de l’automobile de Paris en 1957. L’accueil y est plus que chaleureux. Les dirigeants de Triumph sont enthousiastes. Sitôt le salon terminé, la voiture file à l’usine Triumph pour être décortiquée. La marque décide de soutenir le projet. James, Bernie et John décident alors de racheter la concession « Peerless Motors », revendeur Jaguar de la ville de Slough pour y établir leur chaîne de production. En raison de la notoriété de cette marque aux USA, principal marché visé par les trois compères, le nom est retenu en accord avec la maison mère américaine:

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La Peerless GT 2 litres vient de naître

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Triumph fournit de nombreuses pièces mécaniques et d’accastillage à bas prix, la production des châssis et l’assemblage de la mécanique sont sous-traités chez un spécialiste du coin. Seule la carrosserie pose problème: les coques en aluminium sont longues et complexes à produire artisanalement et investir dans un appareillage industriel est hors de budget question. C’est la British Resin Products Company, voisine de palier elle aussi, qui apporte la solution avec une coque en Plastique Renforcé de Verre (Glass Reinforced Plastic). La société peut livrer des coques montées pour un coût tout à fait raccord avec le cahier des charges initial. C’est la magie du plastique: une Peerless peut désormais être intégralement produite en moins de dix jours!

Les lignes de l’auto sont superbes, basse, équilibrée, elles intègrent parfaitement la mode des ailerons et le toit de 2+2…. A l’intérieur, l’ergonomie est reprise des la TR3, qui était dans la bonne moyenne pour l’époque. La sellerie en vynil présente un bel aspect. John Gordon fera ajouter des leviers de vitre en provenance de Rolls Royce: un quart de tour suffit à monter ou à baisser la fenêtre.

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En Mai 1958, la première Peerless GT en résine sort des chaînes… pour être inscrite au Mans

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1960_Peerless_GT_Coupe_LeMans_1

Elle y finira 16eme sous une pluie battante. Cet événement va enfoncer le clou: la voiture possède une notoriété folle. Elle est proposée à la vente dans la foulée pour un prix de 1500£ soit 500£ de plus qu’une TR3! Pourtant, les journaux l’encensent, la qualifiant de Family sport car:

Road & Track, en 1958, juge l’auto est abordable, simple à réparer en raison de ses pièces Triumph, performante et surtout, nettement plus confortable et polyvalente qu’une TR3. Les points négatifs viennent de la finition de la carrosserie qui présente de trop nombreuses micro-rayures et du confort des sièges, trop ferme et

Auto Sport Magazine, 1958 relève essentiellement les même points, mettant l’accent sur la qualité de l’essieu De Dion, qui gomme tous les défauts des roadsters contemporains.

Près d’un an après avoir consulté John Gordon, le projet de trois hommes est devenu une auto performante et reconnue. Les prévisions de vente sont de 1500 autos par an. Seulement, l’usine n’arrive pas à suivre, au meilleur de leur forme, les ateliers Peerless produisent une auto tous les deux jours. Les commandes affluent et les délais s’allongent: Seulement un mois après sa commercialisation, il faut déjà patienter plus de six mois pour obtenir sa Peerless. La société investit pour développer la production en créant un second moule, mais les techniques de fabrication utilisées par leur voisin de British Resin Products sont trop archaïques pour suivre le rythme et le niveau de qualité demandé. En 1959, tandis que 250 GT sont déjà sorties des « chaînes », un nouveau partenaire est recruté pour la production des coques. Ce dernier va apporter de nombreuses modifications aux techniques de production:

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La coque de la Peerless Phase 1 était constituée de 57 pièces de fibre rivetées puis collées…

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gordon keebleLa phase 2 sera moulée en une seule partie, la rendant à la fois bien plus rigide et plus légère. Au passage, les phares reculent dans leur logement, la calandre abandonne le P de Peerless, les fixations des ouvrant changent légèrement et des buttoirs sont ajoutés aux portes… des acheteurs s’étant plains d’avoir abîmé leurs carrosseries en ouvrant leurs portes! Avec ces nouveaux développements, Peerless peut désormais produire 25 GT Phase 2 par semaine. Mais la marque mère, aux USA, freine cet entrain: elle est plus que mal en point et doit déposer le bilan, retirant au passage à Peerless Cars UK le droit d’utiliser ce nom…

Quelques conduites à gauche sont cependant lancées, et tandis que les deux premiers exemplaires touchent le sol des Etats Unis, James Keeble passe la commande de deux autos à moteur de Chevrolet Corvette.
Comme en Angleterre, l’argent ne rentre pas autant que prévu. John Gordon choisit alors de quitter le directoire et s’associe alors avec James Keeble pour produire la Gordon Keeble basée sur un châssis de Peerless avec un moteur de Chevrolet Corvette. Entre 1964 et 1968 ils fabriqueront une centaine de Gordon GT, mais c’est une autre histoire…

Les deux compères restant décident de se dissocier de la marque américaine mettant fin à l’aventure de la Peerlees GT après une production totale de 300 véhicules. Ne souhaitant cependant pas perdre les investissements réalisés, Jimmy et Bernie revoient légèrement leur copie en équipant la Peerless d’un capot basculant d’une pièce, d’un châssis et d’une coque renforcés. Ils lancent ainsi la Warwick GT en 1960. Leur répit ne sera que de courte durée car Warwick mettra à son tour la clé sous la porte en 1962 après une production de 40 exemplaires.

warwick gt

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Aujourd’hui, il est bien difficile de mettre la main sur une de ces autos. Pour autant, elles ne sont pas inaccessibles: la côte officielle l’évalue à un peu moins de 20 000 € pour un exemplaire concours tandis qu’Hagerty aux USA n’en donne pas plus de 8000€. A titre d’exemple, la GT Phase 1 de Bernie Roger s’est vendue en 2011 près de 33000$, avec une patine et une historique exceptionnelle:

Sources

Peerless-gt.co.uk/ // Mark Rosenberg’s Peerless GT2 // Forgotten fiberglass (un site pour vous!)

3 Réponses

  1. Bromehead

    Bonjour, Je connaissais la Peerless, pour moi une des plus belles GT Britanniques.
    Je vois que vous connaissez aussi Forgotten Fibreglass, site passionnant!
    N’y a t’il pas eu quelques Warwick GT équipées du v8 3.5L Rover?
    Bravo pour ce site,
    Thomas
    Bérigaud Véhicules Anciens

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    • Hugo
      Hugo

      Forgotten Fibreglass… Le site des âmes déviantes de l’automobile anglaise.

      Warwick a en effet assemblé des GT V8, équipées d’un pont Jaguar et d’une boite Moss pour canaliser la puissance du 3,5 litres Buick. Elles se reconnaissent à leur capot légèrement réhaussé.

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  2. Aurélien

    Merci pour cet article passionnant ! Les Peerless ont l’air d’être de belles autos.

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